Chapitre 13

Il était trois heures du matin. Je me retournai. Il était là, à côté de moi, dans cet avion surpeuplé. J’étais à côté du hublot, et lui avait pris la place au milieu. A côté de lui était assis un homme assez gros qui buvait soda sur soda. Dehors, la lune brillait haut dans le ciel. Maintenant que je savais ce que j’étais, je me posais des tonnes de questions, à commencer par… Comment allais-je faire pour me contrôler ? Stephen, qui me regardait depuis un moment déjà, compris vite que je me posais plein de questions.

- Qu’y a-t-il ? me demanda-t-il à voix basse.

- Ce n’est rien, c’est juste que…je me demande comment je vais me contrôler si je ne me rends même pas compte que j’attaque.

- Voilà la seule différence entre les miens et les tiens. Les miens se sont abstenus de toute goutte de sang humain durant plusieurs générations, ce qui nous rend désormais insensible au sang. Contrairement aux tiens. Ils n’ont tenu compte d’aucun de nos conseils et ont continué à tuer des humains. Ce qui vous rend ultrasensible au sang. Si, par exemple, quelqu’un dans cet avion se mettait à saigner, tu ne pourrai te retenir d’attaquer…enfin je pense. Tu es née d’un humain et d’une vampire.

- Ah oui, j’ai d’autres questions. Est-ce qu’on peut sortir à la lumière du soleil ?

- Celle là on ne me l’avait jamais faite !!! me dit-il en éclatant de rire – d’un rire assez bas tout de même pour ne pas trop attiré l’attention. Oui, on peut sortir à la lumière du soleil, mais on ne peut tout de même pas rester trente six heures dessous.

- On dort ou pas ? Et on mange aussi ?

- Cela dépend de ta nature. Nous, nous sommes des êtres mi-humains, mi-vampire. Donc oui, on dort, et dans des lits tout ce qu’il y a de plus normal si tu veux tout savoir. On mange aussi, enfin…d’une certaine manière.

- Comment ça d’une certaine manière ?

- Tu verras.

Tout à coup, une odeur vint me chatouiller les narines. Une montée d’adrénaline parcourait mon corps à une vitesse folle. Stephen me regarda avec frayeur et réussit à me scotcher à mon siège grâce à ses puissants bras. Il mit une main sur ma bouche, tout en m’accrochant à mon siège. Je ne me tenais plus, je ne me contrôlais plus. Il fallait pourtant que j’arrive à me contrôler. Je me concentrai, aussi fort que je le pouvais. Quand je finis par me calmer – bien que l’odeur que je pensais être du sang me chatouillait toujours les narines – il sa rassit tranquillement à sa place et me toisa de son regard innocent.

- Il faudra que tu apprennes absolument à te contrôler si tu veux être acceptée des miens. Sinon, ils n’hésiteront pas à te tuer. Mais je pense qu’un apprentissage de plusieurs jours dans la forêt devrait t’aider.

- Dans la forêt ? Mais…depuis la première fois que j’y suis allée, je n’ai plus le droit de m’y rendre.

- Je ne parlais pas de la forêt à côté de chez toi.

- De quelle forêt dans ce cas là ?

- Oh, ne t’inquiète pas, tu le sauras bien assez tôt.

Je me demandai ce qu’il avait planifié. De quelle forêt parlait-il ? En tous cas, d’après son air malicieux, je devinai que je le découvrirai bientôt.

Il était maintenant sept heures du matin. Nous arrivions à l’aéroport. L’avion atterrit. Nous descendîmes par la rampe d’embarquement – ce qui me rappela notre première mésaventure, mais qui, comparée au reste, n’était qu’une habitude de ma part – et arrivèrent à l’aéroport de Staumon. Je me dirigeai vers la sortie lorsqu’il me retint par le bras.

- Pas par là, me dit-il.

Il s’éloigna de la rampe d’embarquement, me faisant signe de le suivre. Je m’exécutai sans commentaires, en ayant bien voulu savoir ce qu’il trafiquait. Au bout d’environ une demi-heure de marche – en vous précisant tout de même que nous étions sortis de l’aéroport – nous arrivâmes en lisière de cette forêt. J’avais été tellement perdue dans mes pensées que je n’avais pas fait attention au trajet. Bien sûr, nous n’étions pas dans mon jardin, devant cette petite lisière tranquille et clôturée – en tout cas c’est ce que je me forçais à penser. Non, cette lisière faisait beaucoup plus peur. Il faisait très peu de lumière, nous étions au crépuscule. Les ombres des bois faisaient un peu peur. S’apercevant de ma petite frayeur, Stephen éclata d’un rire qui me réconforta derechef. Il prit ma main, et nous nous enfonçâmes dans les bois.

Après environ une heure à crapahuter dans cette forêt un tant soit peu boueuse, nous arrivâmes dans une clairière. Dans cette clairière. Celle qui avait été le point de départ de mes péripéties. Il s’avança, m’avança donc par la même occasion. Il se tenait au milieu de la petite lumière du soleil – quoi qu’un peu plus lumineuse que tout à l’heure. Je me tenais au bord de la clairière. Mais je sentais quelque chose. La même odeur que dans l’avion.

- Essaye de te contrôler. Si tu n’y arrives pas, nous aurons besoin de beaucoup plus de temps.

Il parlait en chinois – pour moi en tout cas – et j’étais concentrée pour réussir à résister. Il avait sans doute tout préparé, à moins que Marianne l’ai aidé. Je me rendais compte que plus je pensais à autre chose, moins je sentais l’odeur du sang. Ce qui me soulagea. Je pensais alors à Lucy, Giulia, et même à Alex et Josh. Au bout de quelques minutes, je ne sentais plus rien.

- Eh bien, c’est mieux que je ne l’espérais. Encore une semaine, et tu ne seras plus dérangée par l’odeur du sang, ou au moins plus tentée de te jeter sur celui-ci, me dit-il, visiblement satisfait. Viens avec moi, me dit-il.

Il me reprit la main, et m’entraina encore plus en profondeur dans les bois. Nous arrivâmes alors devant un spectacle qui me terrifia. Empilés sur environ un mètre de haut, des animaux – inutile de vous préciser qu’ils étaient morts - qui se noyaient sous leur propre sang.

- Marianne est venu chasser avant notre arrivée, tu pourras lui dire merci. Tu es sure que tout va bien ? me demanda-t-il.

Lorsqu’il me posa cette question, je me rendis compte que je n’étais plus moi-même. Je sentais l’odeur du sang comme si j’en étais aspergée, comme si toute la forêt était un bain de sang elle-même. Je sentais l’adrénaline montée, mes yeux devaient être gorgés de soif. Lorsqu’il s’en aperçu, Stephen me plaque au sol – d’une force contre laquelle je ne pouvais lutter – et me dis une phrase qui me surprit sur le coup :

- Pas maintenant.

Au fil des demi-heures, l’odeur s’apaisa, mais nous restions comme ça, lui au-dessus de moi, se qui me fit sûrement rougir quand je finis par me calmer.

- Comment ça, pas maintenant ? dis-je, alors que j’étais maintenant totalement insensible à l’odeur de sang qui nous entourait.

- Pour résister à notre soif, ma famille et moi allons chasser. Nous dévorons – et ce terme me fit frémir – de petits gibiers, mais en assez grande quantité. Genre une dizaine de lapins ou une quinzaine d’oiseaux, sous-entendu par membre de la partie de chasse.

- Et moi aussi je devrais faire ça ? m’indignai-je.

- Je crois, oui. Mais vu ta nature, les choses seront plus compliquées que prévu. Après avoir éteint ton attirance pour le sang, il faudra que tu viennes avec nous pour chasser et boire du sang. Dit comme ça, j’avoue que c’est illogique.

- En effet.

- Cela ne t’effraie pas ?

- De quoi tu parles ?

- D’être un vampire, d’aller chasser… Moi, quand j’ai appris ça, j’ai demandé au reste de la famille de faire interner mes parents. Ils ont refusé. Naturellement, maintenant, je comprends pourquoi.

Moi aussi. En même temps, ça n’a pas du être facile pour lui, avec toute sa famille à dos. Heureusement qu’il a fini par les croire. En revanche, moi, je n’avais que lui et Marianne pour me soutenir. A vrai dire, j’aimais mes grands-parents. Mais après ce que je venais de faire et d’apprendre, ils ne m’accepteraient sûrement plus. Alors pas la peine d’essayer.

- En attendant, il te faut un endroit où te loger. Tu ne peux pas rester dehors, me dit-il de l’air protecteur dont j’avais tant besoin.

Il m’aida à me relever et me prit la main. Il m’emmena à travers la forêt. Au bout d’environ dix minutes, nous arrivâmes sur les berges d’un immense lac au milieu duquel trônait une île surplombée d’un magnifique château moderne. En regardant sur ma droite, je vis qu’une vieille barque en bois était attachée à un anneau planté dans le sable. Il m’emmena vers la barque et m’invita à monter dedans – lui y était déjà. Il prit les deux rames disposées au fond du petit bateau et les plaça dans les anneaux disposés sur les bords de la barque, qui servaient sûrement à placer les rames – évidemment, si ces choses avaient un nom, je l’ignorais. Il ramait bien, efficace et rapide. Aucun de ses gestes n’était inutile. On aurait dit qu’il avait fait ça toute sa vie. Contrairement à moi. Je n’étais pas sportive. Au lycée, je séchais les cours de sport. Enfin, jusqu’à ce que j’arrive ici, à Staumon. Même si je n’étais pas hyperdouée – ça c’était le cas de le dire – je m’efforçais d’assister au cours de sport, pour le plus grand plaisir de Josh, qui se faisait un malin plaisir à me ridiculiser. Je me rendis alors compte que mes amis me manquaient plus que je ne le croyais. Je pense que quand je les reverrais, je serais complètement hystérique, rien qu’à l’idée de réentendre les gémissements de Josh et d’Alex à la cantine, ou encore de parler à la timide Lucy qui se révélait tout-à-fait à l’aise quand on la connaissait un peu mieux. Et puis la mystérieuse Giulia, qui ressemblait à Stephen – le Stephen qui était encore humain – sans pour autant être comme lui.

Le temps que j’étais perdue dans mes pensées, et Stephen avait largement eut le temps d’arriver. Il me tendait déjà la main. Je la pris, et bien que nous soyons déjà en marche – je supposai vers le château – nous ne nous lâchâmes pas la main. Il faisait un silence insupportable sur cette île. C’était assez embarrassant. Il fallait que je trouve un sujet de conversation.

- Tu es sûre que ça va ?

Il avait été plus vite que moi.

- Oui, pourquoi ?

- Tu as juste l’air embarrassée.

- Ce silence est assez angoissant. Je ne suis pas habituée à un silence pareil – excepté en cours d’histoire. Mais bon, je vais essayer de m’y faire. Et puis, en même temps, je n’ai pas vraiment le choix.

- En effet, dit-il d’un air moqueur.

Je lui jetai un regard désespéré. Il avait l’air de se moquer complètement de ce que je disais, et cela me désespérait. Mais bon, après deux jours entiers passés avec lui, je le connaissais presque par cœur. Je savais qu’il aimait bien la musique pop, mais qu’il préférait le classique, que sa pierre précieuse préférée était l’améthyste – la couleur de ses yeux – et que ses fleurs favorites étaient les roses rouges – symbole de l’amour, et j’avais rougi quand il avait dit ça.

Au bout d’environ un quart d’heure de marche – assez intensive, bien que nous nous tenions la main – nous arrivâmes devant le château – Stephen insistait pourtant sur le fait que se soit un logis. Si je devais décrire ce château, je dirais que la façade rappelait une des premières villas, tandis que l’arrière ressemblait plutôt à un vieux château défraîchit. En fait, cela ressemblait à une dent mal lavée : le devant était propre, alors que l’arrière n’avait jamais été lavé. Les fenêtres étaient blanches – cette fois bien lavées – et la porte principale était en ébène. La porte arrière était en chêne peint en bleu. Il dit quelque chose que je ne sus comprendre et la porte s’ouvrit. L’intérieur était…encore plus impressionnant. Il y avait un grand hall, avec au fond un escalier qui se séparait en deux. En fait, elle ressemblait grandement à la maison – ou plutôt au manoir – de mes grands-parents. Il m’emmena dans une pièce.

- Voici ma chambre, me dit-il.

- Attends, tu veux dire que ce château…

- Ce logis, me corrigea-t-il.

- Oui, ce logis…est à toi ?

- Pas exactement. Il est à ma famille.

- Et s’ils se ramènent sans prévenir ?

- Cela ne risque pas d’arriver.

- Et pourquoi ? Si cette maison est à ta famille, ils ont le droit de venir.

- Si cela arrivait, je me débrouillerais. Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça.

- Si tu le dis…

- Viens, je vais te montrer ta chambre.

Il me reprit la main. Personnellement, j’avais eu un mince espoir que l’on partage la même chambre. En même temps, on aurait pu. Il y avait deux lits deux-places dans sa chambre. Il fallait que je lui pose la question.

- A quoi sert le deuxième lit dans ta chambre ? me risquais-je.

- Nous venons ici avec ma famille pour les vacances. Je partage ma chambre avec Fabrice. Ta chambre est celle d’Ashley et de Jane, une autre de mes sœurs. Tu verras, tu as une salle de bain pour toi toute seule.

Pourquoi diable fallait-il qu’il soit si individualiste ? Pourquoi pas un frigo chacun pendant qu’on y était ? Ah, oups, c’est vrai…on n’a pas besoin de frigo. Tant pis. On avait peut-être un jardin et une piscine chacun, qui sait…

En attendant, il avait remarqué mon irritation. Il me dévisageait comme si j’étais une inconnue.

- Quoi ? lui dis-je.

- Tu as juste l’air en colère. Mais ça me plaît.

Je remarquai alors que nous avions pivoté pour nous retrouver face à face. Il agrippa mes bras de ses puissantes mains – je remarquai alors qu’elles étaient parfaites, comme tout le reste – et rapprocha son visage du miens. Il me dit alors :

- Tu veux qu’on ait un jardin séparé ?

- Ah non ! explosai-je. Tout, sauf ça. Une chambre séparée, une salle de bain séparée, pourquoi pas un canapé séparé pendant qu’on y est ? Eh, mais attends… tu me cherches, c’est ça ?

- J’ai autre chose à te dire. Les membres de ma famille – et tous les gentils vampires, on va plutôt parler comme ça – on une capacité à communiquer entre eux par la pensée. Ils peuvent aussi lire dans les esprits des autres.

- Tu veux dire que depuis tout à l’heure…

- …J’entends tout ce que tu penses. Cela te tente vraiment de partager ma chambre ?

J’avais tout gagné. Il savait tout – ou presque – de moi. J’étais rouge comme une tomate – mais depuis le temps, inutile de le préciser – et il connaissait mes désirs les plus intenses – pour ne pas écrire fous. En fait, depuis le premier jour, il connaissait le fond de ma pensée et n’avait rien trahit. Pourtant, vu ce que j’ai pensé de lui… Cela m’étonnait d’ailleurs qu’il m’adresse toujours la parole. Comme la fois où il m’avait coupé devant à la cantine…

Je me souviens de ce jour comme si c’était hier, ou avant-hier, ou avant-avant… enfin bref, je m’en souviens. J’attendais dans l’éternelle file d’attente du self, en grognant que je n’avais pas le temps de continuer cette queue interminable, et bien sur on me répondait qu’il n’y avait pas que moi. Donc j’attendais, et qui me double ? Stephen. C’était le troisième jour de ma troisième semaine à Staumon, et je commençais à avoir une certaine assurance en ce qui était de dissuader mes camarades de me gruger – surtout quand j’étais de mauvaise humeur, comme ici. Mais je n’osais pas lui adresser la parole, et j’avais alors pensé des choses que je n’oserais pas retranscrire ici.

Il avait continué comme ça au moins une fois par semaine, je comprends maintenant pourquoi il n’hésitait pas une seule seconde avant de me passer devant en m’assignant un clin d’œil comme pour me dire « tu es trop timide pour me dire quoi que ce soit » et c’était une affirmation, pas une question. Bref, au bout d’environ un mois, j’avais arrêté de compter toutes ces petites taquineries qu’il me faisait subir.

Maintenant que je savais qu’il pouvait lire dans mes pensées, j’essayais de cacher certains de mes sentiments, même si cela n’est pas évident. Là, il me regardait avec passion, comme si il dépendait désormais entièrement de moi. Et je savais désormais que je dépendais aussi entièrement de lui.



03/03/2010
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