Chapitre 14

Les couvertures de mon lit me tenaient bien chaud, si bien que je décidai de rester au lit. Stephen avait accepté de partager sa chambre, et m’épargnant ainsi la torture d’une chambre rose bonbon – qui était celle de ses deux sœurs. J’ouvrai enfin les yeux : il était assit au bureau, crayon à la main, et il avait l’air très concentré – tellement concentré que même moi je n’aurais pas osé le déranger. Je retirai mes couvertures lorsqu’il se retourna, le visage fendu par un large sourire.

- La Belle aux bois dormants est enfin réveillée ! Tu as bien dormis ?

- Je crois, oui. Et toi ?

- Je n’ai pas dormis.

- Tu as l’air en forme, pourtant.

- Viens, je vais t’expliquer.

Je me levai et allai m’asseoir sur ses genoux. Il déposa un baiser sur mon front avant de reprendre la parole :

- Eh bien, en fait, tout se joue ici, dit-il en désignant sa tête. Quand tu ignores que tu es un vampire, eh bien tu fais tout comme un humain : tu manges, tu dors, et tout le toutim qui s’en suit. Quand tu l’apprends, tu continues pendant environ deux ou trois moi ta petite routine, jusqu’à ce que ton organisme ait récupéré ce dont il avait besoin, et, environ tous les cent ans, tu dois te régénéré. C’est ce que l’on appelle la Régénération. Pendant cette période, tu reprends la routine quotidienne d’un être humain.

- Donc, à partir de maintenant et cela tous les cent ans, je devrais me comporter comme une humaine.

- T’as tout compris.

- Tu sais, je pense que ce qui va le plus me manquer…dis-je sans terminer ma phrase pour faire durer le suspens, bien que je savais cela inutile,…ça va être de me réveiller le matin avec un bon bol de chocolat chaud sur ma table de nuit.

- Je pourrais toujours t’en préparer un.

Il caressa mes cheveux. Je levai la tête, et le regardai dans les yeux. J’approchai lentement mon visage du sien, et nos lèvres se touchèrent. Il m’embrassa avec passion, encore plus que lorsque qu’il m’avait embrassée pour la première fois. Il me prit dans ses bras et nous projeta sur le grand lit drapé duquel je venais de me lever. J’accrochai ses cheveux avec mes doigts, et il enleva sa main de derrière mes genoux pour la placer sur mes hanches. Puis comme si j’avais fais quelque chose de mal, il s’arrêta brusquement. Il enleva ses lèvres des miennes, se mit debout et s’assit sur le bord du lit. Je touchai mes cheveux : ils étaient tout emmêlés. Mon haut était légèrement relevé, et mes bretelles descendues sur mes épaules.

- Pourquoi ? dis-je, avec un air de chien battu.

- Pas maintenant, répondit-il avec dureté.

Il avait dit pas maintenant. Ce qui voulait dire plus tard. Une lueur d’espoir se dessina à l’intérieur de moi. Mais il entendait mes pensées, et me répondit de façon à ce que la lueur d’espoir diminue.

- Ne t’inquiète pas, ce ne sera pas pour tout de suite. On attendra que toute cette histoire soit finie. Ce qui, à mon avis n’est pas prêt d’arriver.

- Je suis vexée, dis-je sans retenue – mais après ce qu’il avait dit, la lueur d’espoir restait allumée. Jamais personne ne m’a rejetée. En même temps, personne n’en a jamais eu l’occasion.

- Ravi que tu le prennes sur ce ton-là, dit-il en souriant.

Cela faisait une semaine que nous étions sur l’île. Et j’avais appris beaucoup de choses sur ma nouvelle vie. Comme le fait que nous ne sommes pas « allergiques » à l’ail, que la vitesse faisait parti de nos nombreux talents – bien qu’il fallait des années d’entraînement pour que nos muscles ne se sentent pas surpassés –, que nous possédions une force surnaturelle, et que certains vampires possédait un don spécial, en plus de lire dans les pensées des autres pour sa famille. Chaque membre de sa famille pouvait communiquer par la pensée. Il m’avait avertie que, pour les siens, je représentais un danger, et que, pour me faire accepter, il fallait que je sois totalement insensible au sang. Quand je serai acceptée par les siens, ce qui n’était pas sur, je pourrais moi aussi lire dans leur pensées. Le seul problème, c’était que je verrai tout et je saurai tout d’eux. Il verrait aussi tout de moi. Mais bon, je pense que je ne rejoindrai pas les rangs de sa famille de si tôt. C’était un peu comme si un alcoolique prenait la décision d’arrêter de boire, ou un toxicomane d’arrêter de se droguer. Cela prendrait du temps, mais j’étais persuadée que ça viendrait, un jour ou l’autre. Même si ça devrait prendre un siècle – après tout j’avais normalement l’éternité devant moi.

Cela faisait donc une semaine que nous nous entrainions dans la forêt de l’île.

Nous arrivâmes sur le lieu de ma désintoxication quotidienne. Maintenant, il fallait que je sois à moins de deux mètres pour commencer à sentir l’odeur du sang. Mais, ce matin, je ne sentais rien. Comme si il n’y avait plus aucun cadavre d’animal dans cette forêt.

- Je ne sens rien, lui dis-je.

- Ce n’est pas normal. Le tas de cadavres est juste derrière toi…

Il ne termina pas sa phrase. Je me retournai et vis alors qui se tenait derrière nous.

- Tu comptais nous la cacher longtemps ? dit une ombre adossée à un arbre.

Avec plus d’attention, je remarquai que l’ombre n’était pas toute seule. Il y en avait huit en tout. Je savais que le moment que j’avais tant redouté finirait par arriver.

- Vous l’auriez tuée si je ne l’avais pas cachée, s’emporta-t-il à l’adresse d’Henry, son père.

Il était accompagné de Wilma, Ashley, Fabrice, et tous ses autres enfants. Je me dis alors à moi-même que j’allais passer un mauvais quart d’heure.

- De toute façon, reprit-il d’un ton plus calme, elle ne sent presque plus l’odeur du sang.

- Presque ? demanda tout-à-coup Wilma.

- Elle ne commence à la sentir qu’à partir de deux mètres.

J’avais l’impression d’assister à un jugement. J’étais naturellement le criminel, Stephen était mon avocat et sa famille était partie civile. Qui était le juge ? Là était la question. En attendant, moi, je passais pour le monstre de service, et je ne savais quoi faire pour les persuader que je n’étais pas ce qu’il pensait. Si seulement Marianne était là…

- Quand allez-vous cesser de vous comporter comme des enfants ? dit soudain une voix – ou plutôt la voix – que je voulais tant entendre.

- Marianne ! m’écriai-je (j’avais enfin réussi à en placer une !).

Ils s’arrêtèrent – enfin ! – tous pour la regarder. Je me précipitai vers elle et me mit à côté d’elle pour observer la cour ici présente. Le juge venait d’arriver. Restait juste à attendre la condamnation, ou ma soi-disant remise en liberté.

- Henry, dit Marianne à celui-ci, je croyais que vous deviez détruire seulement ceux d’entre nous qui ne respectaient pas la loi Fondamentale, autrement dit ne tuer aucun être humain.

- Tu as raison, lui répondit-il. Mais attention, dit-il cette fois à l’adresse de Stephen – et moi par la même occasion, un seul incident, et vous savez ce qui vous attend, surtout toi, dit-il en posant sur moi des yeux qui me transpercèrent. En attendant, je veux bien voir une Weert résister à l’odeur du sang, ça doit être intéressant.

Il me tourna le dos lorsqu’une odeur de plus en plus familière me chatouilla les narines. Je regardai Stephen pour savoir quoi faire. Il était horrifié.

- Rappelle-toi de ce que je t’ai dis, et tout ira bien, dit-il comme pour se convaincre lui-même.

Oui. Ce qu’il m’avait appris. Je devais appliquer ce que j’avais appris lors de nos entrainements quotidiens. Je devais penser à autre chose. Comme lorsque j’avais pensé à Marianne lors de notre premier entrainement.

Pour trouver une pensée sur laquelle restée concentrée, aucun problème : il me suffisait de penser aux maths. Ou à l’histoire. En tous cas, maintenant que mon esprit était occupé à trouver une matière intéressante, je pouvais ouvrir les yeux.

Henry tenait un cadavre d’animal – ne comptez pas sur moi pour vous dire le nom, je n’avais jamais vu d’animal aussi bizarre – dans sa main droite. Je ne m’étais pas aperçue qu’il le tenait d’ailleurs. C’est donc de ce cadavre qu’émanait cette odeur de sang. Je me trouvais à un mètre et demie de l’animal. Je devais me maîtriser à fond. Je sentais tous les regards posés sur moi. Bien que je ne pouvais pas – oserai-je penser « pas encore » – lire dans leurs pensées, je savais ce qu’ils se posaient comme question : va-t-elle attaquer le cadavre ou pas ? Même si certains espéraient plus un oui qu’un non, je savais que je pourrais me maîtriser.

Cela faisait cinq bonnes minutes que je fixais Henry, et qu’il me fixait en retour. Je sentais maintenant une vague odeur, comme si le cadavre s’était reculé. Sauf qu’il n’avait pas bougé. En fait, ça faisait comme un entrainement normal, sauf que je n’avais pas le droit à l’erreur. Et j’avais réussi. Je n’avais pas succombé à la tentation. Et je ne céderais plus jamais.

- Très bien, ça suffit, dit Henry. Je vois que tu résiste bien à l’odeur. Je pense que nous pouvons te faire confiance. Mais attention, je répète que si il y a un seul faux pas…

- …ça ira mal pour moi, terminai-je à sa place. Je sais. Je ne compte pas faire de faux pas.

- J’espère bien. Bon, maintenant que nous sommes tous là, je dois vous parler. Je suppose que vous savez tous ce qui se passe en ce moment.

Non, ce n’est pas vrai. Pas tous. Moi, je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Et il aurait été agréable de la part de chacun de m’en faire part. S’il se passait quelque chose, Stephen, ou même Marianne, m’aurait mise au courant. A moins que ça ait un rapport quelconque avec moi, évidemment.

- Exceptée toi, évidemment, me dit-il. Donc, pour résumé, depuis votre départ, c’est-à-dire environ deux semaines, nous avons en quelque sorte enquêté sur les disparitions dans la forêt des Weert. Nous avons repéré des traces de leur odeur. Assez estompées, mais elles étaient bien présentes. Nous supposons donc que ce sont eux qui sont à l’origine de tout ça. Depuis que vous êtes partis, il y a eu environ dix morts. Nous devons absolument mettre fin à ce massacre.

- Vous voulez dire que mes grands-parents sont des tueurs sanguinaires ? demandai-je avec une pointe d’indignation.

- Vous deviez bien vous en douter, non ? A moins que Stephen ne vous ait pas raconté l’histoire…

- Je lui ai tout raconté. Elle connaît toute l’histoire, intervint Stephen qui avait été plutôt discret jusque là.

- Très bien. Dans ce cas, nous devons tout faire pour empêcher un autre mort à Staumon. Si nous n’arrivons pas à éliminer les Weert, nous devons au moins essayer de les faire fuir.

- Je refuse de faire du mal à mes grands-parents.

- Toi, tu ne leur feras aucun mal. En revanche, tu vas nous aider à les piéger.

- Et comment ?

En fait, le plan consistait à ce que je rentre chez moi en toute innocence, en faisant mine de ne rien savoir ni sur ma vrai nature ni sur ce que mes grands-parents avaient commis comme acte défendu. Henry comptait sur le fait qu’il me révèle tout, et je devrais faire comme si je ne savais rien. Ensuite, pour leur meurtre suivant, je les accompagnerais, et les Cowley au grand complet nous attendraient. Voilà, c’était ça le plan. Wilma avait alors décidé que nous resterions une semaine de plus sur l’île. Elle me laissait partager la chambre de Stephen, Fabrice dormirait avec l’autre garçon, à savoir Paul. Les autres sœurs de Stephen, hormis Ashley et Jane, s’appelaient Katherine et Bea – diminutif de Beatrice. Et, vu comme elles me regardaient, ne m’appréciaient guère. J’espérais alors que cette semaine allait vite se passer. Seulement, j’aurais mieux fait de ne même pas oser le penser.



03/03/2010
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