Chapitre 12

 Cela faisait trois bonnes heures que je crapahutais dans cette boue puante maintenant. J’étais fatiguée, je tombais de plus en plus souvent, avec un mal fou – voir plus – pour me relever. Les ronces m’avait fait enfler les chevilles, mes cheveux étaient trempés – aurais-je oublié de préciser qu’il pleuvait – et mes mains…eh bien ce n’était plus des mains, à force d’écarter les branches qui me barrait le chemin.

 J’arrivai alors dans une clairière. Je m’écroulai alors au sol, et sentais mes forces me quitter. J’abandonnai. Il fallait que j’abandonne, pour ma survie – si abandonner face à mon chasseur était une défense. Je n’eus pas à attendre longtemps. Lorsque je me relevai à l’aide d’un arbre que j’avais rejoint en rampant, il était là. En face de moi, dans la pénombre, se tenait le mannequin que j’avais rencontré dans l’avion, celui que j’avais un jour croisé en ville, qui m’avait d’ailleurs paru bizarre, celui que j’avais découvert dans mon lycée, lui-même qui avait commencé à me pourchasser – tout en pensant à cela, je me rendis compte que je ne savais pas quel jour on était – l’autre soir, dans la forêt. Je m’éloignai le plus possible de lui, tout en restant dans la clairière. J’étais adossée à un arbre, en exécutant une parfaite maîtrise de mon corps pour rester debout, et ne pas m’écrouler par terre et m’évanouir. Bien que je fusse dans un état non-descriptible, je le vis s’approcher de moi, d’un pas feutré. Étant à quelques centimètres de moi, il me prit par le cou, avec une main puissante. Il me souleva de terre sans aucun effort. Je le regardai avec de grands yeux à présent : il avait beau me soulever sans aucun effort physique, je voyais qu’il luttait mentalement. Voyant cela, je lui dis la seule phrase qui pouvait maintenant soit me sauver, soit me tuer.

- C’est si dure que ça ? dis-je avec une voix à peine audible.

Il me regarda, avec le regard plein d’innocence que je lui appréciais tant. Avec un grand soulagement pour moi – et je pense que ce l’était pour lui également – il me reposa à terre. Les mains en forme de poing, il baissait les yeux. Je le regardai, avec un sentiment de culpabilité soudain.

- Je suis désolé.

Il parlait avec une tristesse immense dans la voix. Il leva enfin la tête et daigna me regarder. Nous nous regardâmes dans le blanc des yeux pendant au moins cinq minutes. Puis il commença à s’éloigner.

- Attends ! lui dis-je.

Il se retourna et me dévisagea. Il attendait que je parle. Il fallait que je trouve le courage de lui parler.

- Après tout ce que je viens d’endurer, je pense que tu me devrais quelques explications.

- Tu as raison, me répondit-il.

Cette acceptation soudaine de me dire enfin la vérité m’étonna. Il me regarda droit dans les yeux, ce qui me glaça entièrement.

- Très bien. Viens t’asseoir à côté de moi.

Il s’était assis au pied d’un arbre, le dos contre l’écorce humide d’un pin. Son blouson commençait à se mouiller. Je vins m’asseoir à côté de lui, dans l’herbe humide que la boue n’avait pas encore salit.

- Tout à commencer en 1585, commença-t-il.

« Je suis né à New York, en 1610. Ma mère était humaine, mais mon père…eh bien, mon père était un vampire. »

Génial. Et bientôt, je serai la descendante d’une grande lignée moyenâgeuse, qui a persécuté son peuple pendant des années.

« En fait, je l’ai appris en 1629, quand j’ai eu dix-neuf ans. Enfin, soi-disant. Cela faisait un an que je n’avais pas pris un centimètre. Mais mes parents n’ont pas voulu m’emmener chez le médecin – soi dit en passant, ma famille était assez aisée et pouvait se permettre d’appeler un docteur. Quand je leur ai demandé pourquoi, ils m’ont tout dit. Voilà comment j’ai appris que j’étais un vampire. Au début, je n’y ai pas cru, puis tout correspondait : pourquoi ils avaient refusé d’appeler le médecin, pourquoi soi-disant mon père mangeait quand je n’étais pas là. Nous étions les seuls dans toute l’Amérique. Enfin, jusqu’en 1856. Les Weert sont arrivés et ont commencé à semer la pagaille. Ma famille, qui comprenait alors moi, mon père, mon frère, ma mère – qui nous aidait beaucoup bien qu’elle soit humaine – et ma tante. Nous ne sommes pas tous pareils. Moi, j’ai du venin en moi. Je peux transformer un humain en vampire, tandis que mon frère a beau mordre, il ne peut pas injecter du venin. Mais nous nous sommes vite rendu compte qu’ils étaient beaucoup plus forts que nous, bien que moins nombreux. »

Il marqua une pause, j’en profitai pour intervenir – c’est vrai qu’en placer une entre deux de ses phrases relevait de l’impossible.

- Attends, il y a un petit problème. Mes grands-parents sont arrivés en 1956 – en insistant bien sur le neuf-cent – et jamais il ne m’aurait caché être des…

- Des vampires ? Et puis es-tu bien sûre qu’ils sont arrivés en 1956 ? N’as-tu aucun doute là-dessus ?

- Eh bien…lors de son fameux discours à table, ma grand-mère s’est soi-disant trompée de date. Elle s’est aussi trompée sur le nom de ma mère.

- Cela, on y reviendra plus tard.

« J’étais donc rendu au moment où l’on se rendait compte qu’ils étaient beaucoup plus forts que nous. Lors de la date de mon « anniversaire » - il avait fait agiter les doigts pour bien me faire comprendre « soi-disant » - mon père mourut, tué par tes grands-parents. Inutile de te dire que ma mère était morte depuis plus de cent-cinquante ans. Deux jours plus tard, ce fut ma tante. Il n’y avait qu’une abbaye, avec une ou deux fermes aux alentours. Ils ont transformé deux personnes. Tu te souviens de Marie et James, les domestiques de tes grands-parents. Eh bien Marie est la fille d’un fermier, et James est le frère de l’autre. Ils ont réussi, par je ne sais quel miracle, à C’est en 1930, quand la ville a commencé à se repeupler que nous avons passé un accord. Il nous livrait leur prochaine descendante, et nous les laisserions tranquille. Il y a environ une vingtaine d’année, leur fille, qui était déjà là en 1930, se maria avec un certain Daniel. Puis ils s’en allèrent, et revinrent en 1991, avec un bébé, qui s’appelait…euh…je crois qu’on peut attendre pour cela. »

 Il rigolait ou quoi ? On peut attendre ? Et puis quoi encore ! Non mais il me raconte une histoire à dormir debout, il m’accroche dans son histoire, et il me laisse un aussi grand suspens ? Il est vraiment impossible celui-là !

« Donc, en 1991, mon oncle – humain – et ma tante Marianne prirent le bébé et s’en allèrent à Palm Springs. Lorsque cette jeune fille eu dix-sept ans, James, mon oncle, mourra, tué pour je ne sais quelle raison. Marianne n’eu pas le courage de continuer à élever cette fille seule. Elle la renvoya donc dans sa famille. Elle est arrivée il y a environ deux mois, dans le même avion que moi. Tu vois où je veux en venir ? »

 La vérité me frappa tellement que je me suis demandé si je n’étais pas morte au moment où Stephen m’avait retrouvée. C’est vrai, j’aurais pu me retrouver au paradis – ou en l’occurrence en enfer – sans m’en rendre compte. En tout cas, maintenant, je savais tout : je n’étais pas humaine. J’étais un…vampire. Cette pensée me repoussa. Je savais qu’il me regardait, qu’il guettait ma réaction. Je me levai d’un bond et me dirigeai vers le bois.

- Où vas-tu ? me demanda-t-il, inquiet.

- Je rêve, c’est ça ? Tout cela est complètement impossible. Tu n’es pas un monstre, je ne suis pas un monstre, et je suis en ce moment tranquillement dans mon lit, bien au chaud, et mon réveil est à deux minutes de sonner.

- Comment puis-je te convaincre que tu ne rêve pas ?

- Je rêve, d’accord ? Les monstres n’existent pas, ce n’est pas possible !

Je criai, et le pire, c’est que je ne m’en rendais même pas compte. Je sanglotai aussi. Il le voyait que je croyais très bien à son histoire, mais que je refusais de l’admettre. Il s’approcha de moi, et essuya mes larmes de son pouce. Il mit certaines mèches de mes cheveux derrière mes oreilles. Je dégoulinai de pluie, lui aussi. Mais, à cet instant où nous étions si proches l’un de l’autre, je m’en fichais. J’attraperai peut-être une pneumonie à vouloir conserver ce moment dans ma tête, mais ce n’était pas grave. Il était là, tout près de moi, et plus rien ne comptait.

Il prit mon visage entre ses deux mains, et continua son histoire.

- J’ai été chargé de te pourchasser après ton arrivée.

« Je ne voulais pas, car je pensais – enfin, je savais – que tu ne ferais de mal à personne. Mais ma famille préférait la sécurité. La seule différence entre toi et moi, c’est que j’arrive à me contrôler. Toi, une poussée d’adrénaline et hop, c’est parti. Mais, tant que tu n’avais tué personne, je ne pouvais pas te faire de mal. Dans la forêt, la première fois, j’ai essayé de te…tuer. Mais un chasseur est arrivé, et j’ai du m’enfuir.

- Tu veux dire que c’est toi qui as tué tous ces randonneurs.

- Tu m’as vraiment écouté ? J’ai précisé que ma famille ne tuait plus les humains.

- Mais qui est-ce alors ?

- Plus tard. Pour l’instant, je continue.

« Ensuite, tu m’as rencontré au lycée, et vu ta réaction, tu ne te souvenais pas du coup dans la forêt. Alors, j’ai pris la décision de ne plus essayer de te faire du mal. Il fallait cependant que je continue à te surveiller. Puis il y eu ce soir dans la forêt, où tu as…tué un lapin de sang-froid. Quand je t’ai vu faire, je me suis dit « c’est impossible, pas elle ». Il fallait que je réagisse. Quand tu m’as vu, tu avais l’air terrorisée. Tu t’es enfuie, et je me suis rendu compte que tes dons de vampire se développaient très rapidement. Après t’avoir poursuivie – pour ne pas dire traquée – pendant un long moment, j’ai rencontré Marianne, qui m’a dit qu’elle t’avait retrouvée évanouie dans la forêt. Elle m’a conduit jusqu’à toi, et j’aurais pu te tuer tout de suite si je l’avais voulu. Mais je ne pouvais pas. Fallait-il que j’agisse quand même ? Non. Je t’ai alors emmenée à Palm Springs, où je me suis dit que tu serais déstabilisée et que ce serait plus facile pour moi. Mais je me trompais. Quand tu es sortie du centre et que tu t’es dirigée vers ce magasin, tu savais ce que tu faisais. Oh, j’allais oublier. Quand Marianne m’a conduit jusqu’à toi, tu t’es réveillée. Tes instincts de vampires avaient totalement pris le dessus, et j’ai été obligé de me battre, d’où tes égratignures. Et puis… »

 Plus il parlait, et plus je me rendais qu’il avait parlé de ma mère. Et il n’avait toujours pas lâché mon visage. Mais – en revenant à ma mère – si elle était un vampire, elle n’était donc pas morte ? Il fallait que je lui demande.

- Deux secondes, l’interrompis-je, tu parles de ma mère depuis tout à l’heure. Où est-elle ? Je la croyais morte, mais elle ne l’est apparemment pas. Je veux savoir où elle est.

- Tu peux venir.

Il ne s’adressait pas à moi. Une forme se dessina dans l’ombre. Je l’aurais reconnue entre mille. Cette femme aux yeux d’ambre qui m’avait élevée, cette mère aux bras si tendres, à la voix si douce. Ma mère. Je la considérais comme telle, bien que maintenant je savais qu’elle ne l’était pas vraiment.

Stephen me lâcha le visage. Je me dirigeai vers elle, nous nous regardions les yeux dans les yeux. Je n’étais plus qu’à quelques centimètres d’elle. Les yeux en larmes, je la vis m’ouvrir de grands bras, que je m’empressai d’aller rejoindre. Nous pleurions toutes les deux. Au bout de dix minutes, elle desserra ses bras.

- Pour être franche, me dit-elle enfin, Stephen et moi sommes les seuls à ne pas vouloir te tuer.

J’émis un léger toussotement forcé pour dire que Stephen ne m’avait montré qu’un peu tard qu’il ne voulait pas me tuer. Et il le comprit.

- Écoute, je n’ai pas voulu te tuer parce que, eh bien… c’est assez dur à dire. Je pense que je ne parlerai pas.

Il reprit mon visage entre ses deux mains et plaqua ses lèvres sur les miennes. Je pense que je préférai qu’il agisse plutôt qu’il parle maintenant. Et, à présent, je savais que plus rien ne pourrait jamais nous séparer.



09/02/2010
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