Chapitre 1

Je regardai un avion prêt à atterrir. Il sortit ses trains d’atterrissage, puis se posa en douceur sur le bitume de la piste.

J’étais à l’intérieur de l’aéroport de Palm Springs, en Californie, et j’attendais dans cette file interminable de gens râleurs et impatients, dans laquelle j’avançai d’un demi-pas toutes les dix minutes. Ce jour là, le 21 juillet 2008, j’allais rejoindre mes grands-parents, en Virginie. Enfin, biologiquement, c’était mes grands-parents. Je ne les avais jamais vus, j’ignorais même leur existence. J’allais les rejoindre car mes parents, Marianne et James Gathe, étaient morts, tués par une sorte d’animal inconnu.

Évidemment, j’attirai l’attention avec mes bottes au-dessus de genoux, ma minirobe bouffante noire, mes longs et raides cheveux noirs et ma peau blanche comme la neige. Je regardai devant moi, plus qu’une vieille dame courbée par l’âge et c’était à moi. Elle demanda un billet pour une petite ville en Virginie, dont le nom m’était inconnu. L’agent de l’aéroport lui donna son billet, elle paya et s’en alla. Après, ce fut à moi. J’approchai du comptoir, l’agent me dévisagea, puis me demanda :

- Pour aller où ?

- A Staunton, s’il vous plaît, lui répondis-je.

- Très bien, ce sera 410 dollars. Votre carte d’identité, s’il vous plaît.

Je la lui tendis. Sur ma carte d’identité étaient marqués mon nom, prénom, date de naissance : Sophia Gathe, 13 avril 1991. Ma photo datait du 13 août 2000, j’avais neuf ans. Je n’avais pas ce rouge-à-lèvre noir que je mettais aujourd’hui. On aurait pu ne pas me reconnaître, sur cette photo. Mais l’agent ne sembla pas perturbé par le contraste entre la photo et moi.

- Voici votre billet. Bon voyage, dit-il – d’une voie aussi gaie que s’il revenait d’un enterrement – en me tendant mon billet.

- Merci. 

Cet homme resterait gravé dans ma mémoire : je n’avais jamais vu un homme aussi ennuyeux et déprimant.

 

Je pris la rampe d’embarquement, entrai dans l’avion et pris ma place. On peut dire que le voyage dans les airs, ce n’est pas mon truc. Je n’ai fait que vomir durant tout le trajet. J’ai même été obligée de me lever pour aller aux toilettes, et c’est à ce moment là que je l’ai rencontré. Forcément, j’étais dans la position la plus inconfortable qui soit : courbée au-dessus des toilettes en me demandant si je ne devais pas plutôt retourner m’asseoir pour que ça passe. Mais j’entendis la porte des toilettes s’ouvrir et c’est à ce moment là que je me rendis compte que j’avais laissé la porte de mon cabinet ouverte.

- On dirait que c’est la dernière fois que tu prends l’avion. 

Étant dans l’incapacité de lui répondre, je ravalais – à grand dégoût – tous les fluides visqueux présent dans ma bouche et me retournais : il était là, un parfait mannequin en chair et en os, me fixant de ses yeux couleur océan, sa peau aussi pâle que la mienne. Il me tendit sa main pour que je puisse me relever, je refusais. Je préférais rester assise, et, à ma grande surprise, il s’assit à côté de moi.

- Tu vas où ? me demanda-t-il, et sa voix résonna en moi comme dans une immense salle vide. La nausée me donnait une de ces migraines !

- A Staunton, en Virginie, lui répondis-je avec difficulté.

- Moi aussi, je vais en Virginie, et pas très loin de Staunton. Pourquoi vas-tu là-bas ?

- T’es de la police ? lui dis-je avec un naturel déconcertant – j’avais tout de même l’impression de subir un véritable interrogatoire. Je me rendis compte que plus je parlai avec lui, plus mon mal de crâne passait, et ma nausée aussi par la même occasion.

- Non, mais j’aime bien savoir des choses sur les gens que je rencontre. Moi je vais là-bas pour retrouver de la famille que je n’ai pas vue depuis longtemps, et je vais passer l’année là-bas. Je te repose la question : pourquoi vas-tu là bas ?

- Mes parents sont morts – je refusai évidemment de lui dire pourquoi – et la seule famille qu’il me reste sont mes grands-parents.

- Si ce n’est pas indiscret, pourquoi tes parents sont-ils morts ?

- C’est indiscret, lui dis-je en évitant de le regarder pour qu’il évite de voir mes larmes couler le long de la courbe de mes joues.

Un haut-parleur installé dans les toilettes nous indiqua que nous allions bientôt atterrir et qu’il fallait rejoindre nos places.

- Au fait, je te parle depuis au moins une bonne dizaine de minutes sans savoir à qui je m’adresse, lui dis-je. Comment t’appelles-tu ?

- Je m’appelle Stephen, me répondit-il. Mais moi aussi j’aimerais savoir à qui je m’adresse.

- Je m’appelle Sophia, lui répondis-je. C’est vrai que pour un interrogateur de la police, la moindre des choses serait de me demander mon prénom, dis-je avec un air rieur.

Lui, ça ne l’avait pas fait rire. Son visage était devenu sombre, presque inanimé. On aurait dit une statue de cire – ou plutôt de porcelaine. Je me rassis à ma place, alors que lui continuait dans l’allée. Il devait être en première classe. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que s’il m’arrivait de le croiser à Staumon, je ne risquais pas de le louper. Après tout, on n’oublie pas quelqu’un d’aussi froid.



18/10/2009
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