Chapitre 11

Ce fut lorsque quelqu'un vint frapper à ma porte que je repris mon esprit. Je me levai et vit mon reflet dans le miroir en face de moi. Pendant une fraction de seconde, je crus voir le visage de Charly derrière moi. Une terreur incomparable s'empara de moi, et je me retournai si vivement que je tombai sur le lit. Je posais ma main pour me relever, et quelque chose me fit tilter : le corps de Charly n'était plus sur le lit. J'étais sûre qu'il était mort, allongé là, sur le lit. Mais il n'y était plus. Je l'appelais, en vain. Personne ne répondait. Je finis par aller ouvrir.

L'homme qui se présenta devant moi portait un costume noir. Il m'avait tout l'air d'un majordome. Grisonnant, la cinquantaine passée. Il avait les mains croisées derrière le dos.

« Mademoiselle Bishop. » me dit-il en me saluant.

Je répondis par un faible bonjour.

« Le conseil m'envoie. Veuillez me suivre. »

Le conseil savait que j'étais là. Personne n'étais avec moi pour me protéger ou me dire quoi faire. Pour la première fois de ma vie, je devais décider de moi-même, de mon plein gré. J'hésitais entre un bon coup de poing dans la mâchoire, ou une simple diversion pour pouvoir sortir par la fenêtre.

« Je ne vous conseille pas de vous enfuir, les conséquences seraient terribles pour vos amis. »

Il parlait avec une voix si calme que j'aurais pu me noyer dans ses paroles. Et je décidai de l'écouter. Que pourrait-il me faire ? Je n'avais qu'à utiliser mes pouvoirs... incontrôlables. Je comprenais à peu près comment les utiliser. Les contrôler...J'avais plus de mal. Enfin, je sortis de la chambre en regardant une dernière fois derrière pour vérifier que le corps de Charly n'était pas revenu. Penser à lui me faisait mal au cœur : il était la première personne à m'avoir fait confiance. J'avais l'impression d'avoir changé de côté en lui ôtant la vie. J'avais envie de pleurer. Malgré le peu de temps que nous avions passé ensemble, il comptait pour moi. Ses baisers aussi me manquaient, ses silences que j'appréciais. Je refermais la porte derrière moi, ainsi que sur les derniers jours qui venaient de s'écouler.

« Le conseil a vraiment hâte de vous parler, me dit l'homme. »

À ce moment-là, je ne stresse pas plus que si j'avais été sur une plage. Vous vous demandez « comment est-ce possible ? ». Ça va venir. Donc, je ne stressai pas. Je marchais, tranquillement derrière l'homme, comme si j'allais au cinéma avec ma meilleure amie. Ma meilleure amie... Elle me manquait, quand je pensais à elle. Où était-elle ? Que faisait-elle ? J'avais l'impression de me poser tout le temps les mêmes questions. A propos de Lena et de ma mère... Plus à propos de ma mère d'ailleurs, parce qu'elle avait été mise au courant.

Le temps de mes réflexions, l'homme m'avait fait sortir de l'hotêl et nous étions arrêtés devant une longue limousine noire. Il m'ouvrit la portière, et j'entrai dans la voiture.

Assis devant moi, les quatre membres du conseil. Mon regard se fit plus insistant sur Elenna, mon « égale ». Elle était habillée assez normalement : tailleur très sérieux gris, jupe de la même couleur. Mais ce qui me choquait le plus se trouvait plus haut : une cape descendant jusqu'aux coudes et un chapeau pointu – non, non, vous ne rêvez pas – de la même couleur. Elle prit la parole en premier.

« Julie, enfin, nous te retrouvons. Pour les présentations, me dit-elle en tendant la main vers le « majordome », je te présente Gustave. C'est un ange. »

Et ceci explique cela. La décontraction que j'avais ressentie n'était autre que mascarade. Le conseil ne remontait pas dans mon estime.

« Nous t'écoutons, continua-t-elle. Pose-nous toutes les questions que tu veux.

- Pourquoi suis-je une sorcière ? Ma mère n'en est pas une, à ce que je sache, et j'ai appris que ces dons sont héréditaires.

- Ton père en était un. Il serait resté t'élever si nous ne l'avions pas arrêter. Il a enfreint la règle d'or des descendants : ne jamais avoir d'enfant avec une simple humaine sans pouvoirs.

-Pourquoi est-ce interdit ?

- Surprenant. Tu ne t'énerves même pas sur le fait que nous t'aillons enlever ton père. Enfin bref. Pour répondre à ta question, cela est interdit car les gênes humains démultiplient les pouvoirs de l'enfant.

- Pour ne pas vous surprendre, je répondrai que je n'ai jamais connu mon père, je n'ai aucun lien affectif avec lui. Ma mère en revanche aurait quelque reproches à vous faire. Enfin, en quoi cela est-il un mal d'avoir des pouvoirs démultipliés ?

- Regarde-toi. Tes pouvoirs sont incontrôlables, tu pourrais tuer. Ah, mais j'avais oublié : c'est déjà fait, non ? »

Mais...comment savait-elle ? Personne ne l'avait vu, à part moi...Je revis le corps de Charly, complétement desséché sur le lit, ses yeux vitreux... Je ne pus empêcher un sanglot de sortir de ma gorge.

« Comment...comment le savez-vous ?

- Je ne le savais pas, je vérifiais mon hypothèse. »

Elle était très intelligente. Et je devais être plus maligne qu'elle pour pouvoir m'échapper.

« Alors, qui est la... malheureuse victime ?

- Vous savez déjà qui c'est !

- Nous aurais-tu enlever une épine du pied ? Aurais-tu tuer Charly ? me dit-elle avec un grand sourire. »

Il n'en fallait pas plus pour m'énerver. Tant pis si ma soi-disante couverture était fichue, de toute façon elle n'aurait jamais marchée. Il fallait que je me concentre, comme Charly me l'avait appris. Je fermais les yeux et me concentrai sur Elenna. Il fallait que j'ai sa respiration à la milliseconde où je le toucherai, pour pouvoir commencer à aspirer son énergie dès que je serais en contact avec elle, comme je l'avais fait avec...Charly. Sauf qu'il fallait que j'y arrive du premier coup, sinon jamais.

Je sentais à présent parfaitement la fréquence respiratoire d'Elenna. Elle était juste en face de moi, la main sur un pommeau de canne invisible. C'était la seule partie de sa peau, sinon son visage, qui était nue.

Je rouvris les yeux, pour ne pas éveiller de soupçons, et commençai à me concentrer. C'était très dur, les yeux ouverts. Imaginez que vous voulez vous remémorer une chanson et que vous écoutez une autre chanson : c'était à peu près ça que je ressentais. Mais j'étais une artiste : peindre demandait une excellente concentration, je n'eus donc pratiquement aucun mal à me concentrer uniquement sur Elenna. Une fois ma respiration calée sur la sienne, je posai ma main sur la sienne et fermai les yeux. Je sentis son énergie m'envahir, comme pour Charly, sauf que cette fois, je la laissai m'envahir avec pleine conscience de mon acte. Je sentai qu'elle faiblissait. Puis j'entendis la voie de Charly, dans ma tête :

« Tu veux vraiment tuer ? »

Je retirai ma main aussi sec et rouvris les yeux. Elenna suffoquait sur la banquette, et les trois autres membres essayait de comprendre ce qui venait de se passer. Malheureusement pour eux, la seule sorcière blanche apte à la soigner, c'était moi. Je ne voulais pas la tuer, mais hors de question de la soigner.

Ilda me regarda alors avec de la terreur dans les yeux.

« Tu... Tu voulais la tuer ?! Mais tu es complètement folle ! Elle...Je... »

Elle pleurait. Ilda était un membre du conseil, et elle pleurait.

« Vous avez capturer mes amis, et vous voulez les tuer. Vous vouliez aussi avoir Charly, et moi, et... Et c'est moi qui suis folle ? Mais...vous ne vous rendez pas compte de ce que vous êtes ? Vous êtes des monstres !

- Mais... On a jamais...fait une chose pareille ! me répondit Ilda.

- Ah non ? Alors pourquoi le refuge a-t-il été détruit ? Pourquoi avons-nous reçu un mot disant que personne n'avait été tué mais que vous alliez le faire ?

- Je crois qu'il y a erreur, me répondit Samuel. Personne n'a « capturé » personne, et on n'envisageait pas non plus de tuer quelqu'un.

- Mais pourtant...Ils ont tous disparu du refuge...Nous étions seuls, les tentes étaient détruites...

- Pour ma part, reprit Samuel, je n'ai jamais entendu parler de la destruction du refuge...Ni de la capture de ses membres.

- Moi non plus, compléta Ilda en regardant Elenna.

- Ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas responsable de ça.

- Pas responsable ? Mais qui alors ?

- Je ne suis pas la seule à avoir des pouvoirs incroyables, continua Elenna. Gabriel est un grand vampire. »

Tout le monde se tourna vers lui. Mais il n'était plus là. Nous étions seulement trois – moi, Ilda et Samuel – a être étonnés. Elenna gardait les yeux rivés sur le sol de la limousine. Tout le monde se tourna alors vers elle. Elle ouvrit la petite fenêtre qui la séparait du chauffeur.

« Annulez la cérémonie. Nous rentrons.

- Mais, non ! m'exclamai-je. Je n'ai pas toutes mes réponses !

- À ce stade, je pense que nous n'avons plus les réponses, me répondit froidement Elenna. »



12/03/2011
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